Retour sur un vote en Irlande

Publié le par PRS_57_marianne

Le référendum irlandais ou le retour du refoulé, par Roland Hureaux.

La France et l'Allemagne entendent faire comme si les Irlandais n'avaient pas voté. Un comportement... freudien.

Comment ne pas être frappé, en voyant rejet du traité de Lisbonne émanant du peuple irlandais, par le contraste entre la faiblesse de l'enjeu apparent : un pays sur vingt-sept et un des plus petits, périphérique qui plus est, ne représentant que 1,1 % de la population de l'Union, et le séisme que provoque ce vote à travers toute l'Europe.

Les raisons qui peuvent expliquer ce retentissement ne manquent certainement pas : l'Irlande étant le seul pays que sa loi fondamentale obligeait à soumettre le traité à référendum, tout le monde a compris que le peuple irlandais dit tout haut ce que les autres pensent tout bas ; on sait aussi qu'un traité international comme celui de Lisbonne n'est valide que si tous les pays signataires l'ont ratifié et que la défaillance d'un seul suffit à le rendre inopérant.
Certes. Mais l'Europe en a vu d'autres : la machine européenne a su jusqu'ici gérer ces problèmes quitte à faire revoter certains pays ou à leur ménager un régime spécial (Royaume-Uni, Danemark, Irlande déjà). Les partisans du traité peuvent dire en outre que l'Irlande, encore prisonnière d'un catholicisme étriqué, est un cas à part : que la question de l'avortement ait en partie motivé son refus l'écarte, de toutes façons, du courant dominant.
Pourtant cet État, longtemps à la traîne, est devenu le plus riche de l'Union ; il a le taux de prélèvements obligatoires le plus faible et au moins autant que les questions de mœurs, a joué dans ce pays réputé libéral la crainte que l'Europe ne remette en cause la gratuité de la santé et de l'éducation. Le refus des aventures militaires où la politique étrangère commune pourrait entrainer ce pays resté à l'écart de l'OTA N a aussi influé.
Mais la réaction de l'opinion internationale témoigne surtout de l'extrême fragilité de l'édifice bruxellois. Déjà, deux grands pays fondateurs, la France et les Pays-Bas, avaient en 2005 rejeté le projet de constitution européenne provoquant un premier ébranlement. La réaction des élites européennes attachées à une mécanique dont l'effet premier, profitable pour elles, est d'ouvrir l'espace européen à tous les vents de la mondialisation, fut de s'asseoir sur le couvercle de la marmite. Le traité prétendu simplifié (tellement simplifié que François Bayrou lui-même n'hésite pas à qualifier d'illisible), annoncé par Nicolas Sarkozy dans sa campagne électorale, devait remettre l'Europe sur les rails «parce qu'il n'y a pas d'autre solution.» Afin d'éviter cette fois tout risque de rejet, 26 états sur 27 avaient décidé de l'adopter par voie parlementaire, des gouvernements et des parlements dociles à l'ordre international n'hésitant pas, comme en France, à désavouer frontalement le vote populaire. Mais le référendum irlandais a été le maillon faible de l'entreprise : avec lui , c'est toute une bouffée de vapeur qui s'échappe de la marmite , venant rappeler que le calme apparent avec lequel les dirigeants européens faisaient mijoter leur petite soupe, n'était qu'un faux-semblant recouvrant une contrainte lourde imposée aux peuples et un viol, sinon dans la lettre du moins dans l'esprit, de ce fondement essentiel de la civilisation européenne qui s'appelle la démocratie.

Le refoulé frappe toujours deux fois
Que va-t-il se passer désormais ? La France et l'Allemagne ont, sans surprise, annoncé conjointement que le processus de ratification devait se poursuivre comme s'il ne s'était encore une fois rien passé. Les électeurs irlandais sont renvoyés aux brumes d'Avallon.
Freud a expliqué que le mécanisme du refoulement permettait à l'homme de vivre au quotidien, en «censurant» les vérités traumatiques qu'il ne veut pas voir. Depuis plusieurs années les dirigeants européens censurent pour cette raison le refus profond des peuples d'Europe d'aliéner leur liberté ou à tous le moins d'approuver des politiques européennes décidées sans qu'on leur demande leur avis.
Le plus probable dans l'immédiat est qu'un nouveau mécanisme de refoulement - de forclusion disent aussi les psychanalystes -, quelques subterfuges juridiques aidant, se mette en place, pour que l'Europe puisse croire reprendre le cours de son long fleuve tranquille. Le traumatisme passé, on fera comme s'il ne s'était rien passé. Mais l'amnésie aura un caractère plus artificiel que jamais. Et comme le refoulé, nous dit encore Freud, finit toujours par revenir à la surface, ce sera jusqu'au prochain débordement.
Vendredi 13 Juin 2008
Roland Hureaux
http://www.marianne2.fr/

Publié dans International

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article